26 août 2012 - Un fantôme - c'est ce qu'il était devenu, depuis la bataille du labyrinthe (c'était comme ça qu'ils avaient décidé de la nommer, sans vraiment en discuter entre eux - le nom s'était imposé de lui-même). Il avait cette étrange sensation de flotter, comme si son corps ne lui appartenait plus - ou qu'il lui appartenait
trop, justement. Enfermé dans cette cage de chaire et de sang comme un lion entre quatre murs, il hurlait intérieurement - ça faisait deux mois qu'il hurlait en silence, comme un loup à la pleine lune. Et quand il se réveillait la nuit, et qu'il tournait la tête sur sa droite en direction de la couchette normalement occupée, la réalité lui revenait à la figure comme une gifle.
Elle n'était plus là. Niahm était partie, pour toujours. Son dernier souffle de vie s'était évaporé entre ses doigts comme une fine buée que l'on recrache à l'arrivée de l'hiver. Elle lui avait glissé entre les doigts comme du sable trop fin - de l'eau trop liquide. Sous ses yeux. Échappée. Ses dernières paroles avaient été pour lui - et son petit corps si frêle s'était affaissé dans ses bras tremblant, tandis qu'autour d'eux tout n'était que carnage et combat.
Depuis cet événement, c'était comme si toute la colonie s'était plongée dans une transe générale. Certains restaient silencieux, d'autres sur-réagissaient, il arrivait même que certains paniquent au moindre bruit trop agressif - suscitant un sursaut général. La blessure était encore fraîche, sanguinolente - suintante d'un poison qui semblait les engourdir au fil des jours, qui s'enchaînaient eux-même avec une lenteur monstre. Atroce - pour ne pas dire insupportable.
Beaucoup tentaient de remotiver les troupes. Mais Noah n'était pas d'entre eux. Si Niahm avait toujours été là, ils se seraient très certainement tous les deux lancés dans l'organisation d'une fête ou d'un tour aux Hermès pour animer un peu la colonie, et arracher deux ou trois rires aux plus jeunes. Mais il n'avait envie de rien faire. Absolument rien. C'était comme si toute motivation l'avait quitté - et pourtant, il tentait très fort de se remettre de tout ça. Mais il n'y arrivait pas.
Ce soir là, une veillée avait été organisée dans la forêt. Beaucoup y allaient - mais nombreux étaient ceux qui préféraient ne pas y faire acte de présence.
C'est pour fêter la victoire qu'on leur avait dit
et honorer nos morts. Noah avait fait la grimace - il ne se sentait pas d'humeur festive. Et puis, à tous les coups, la soirée allait terminer en déprime générale - il ne voulait définitivement pas en être. En temps normal il aurait été touché par la détresse des autres - plus que par la sienne - et y serait sûrement allé pour leur offrir un peu de répit grâce à son pouvoir - là, tout ce qu'il voulait, c'était être seul avec sa peine. Seul avec ses souvenirs. Se poser quelque part, regarder les étoiles.
Et c'est tout.Trouver de la solitude à la colonie n'était pas si simple. Elle était tellement peuplée - les dieux avaient tellement d'enfants, sans compter les créatures comme les satyres et les dryades qui peuplaient les bois. Il avait l'impression de jouer à cache-cache, sans vraiment le vouloir. Les mains dans les poches, l'air hagard, il passa par la forêt - du coin de l'oeil il remarqua les silhouettes réunies autour du fois. Il y avait plus de monde que ce qu'il l'imaginait. Silencieux, comme ce à quoi il s'attendait - il s'autorisa un petit ricanement, pas vraiment méchant.
Ayant pour seule lumière l'éclat de la lune, il rejoignit l'amphithéâtre. Pendant un instant, il revit la dépouille de Niahm - enveloppée dans un linceul décoré de vignes, les yeux clos, la tête vers le ciel. Si paisible. Pas de sang sur ses lèvres - elle avait été lavée, avant la cérémonie, comme tous les autres. Elle avait l'air endormie. C'était ici, juste après la bataille, que tous avaient pu prononcer des mots en l'honneur de tous les morts avant que les rites funéraires ne soient effectués. Noah avait parlé pour Niahm, pour Castor quand Pollux n'avait pas pu parler - trop touché par la perte de son jumeaux. Encore une fois, il avait endossé le rôle de l'aîné - pour une fois, il aurait accepté que Loki prenne sa place. Mais il ne lui avait pas demandé. Par fierté ou protection, allez savoir.
Silencieux, Noah monta une à une les marches de l'amphithéâtre - la tête enfouie dans la capuche de son gilet ouvert, laissant entrevoir son tee shirt de la colonie. Orange hideux, avec son pégase trop joyeux. A son cou pendait le collier de la colonie, orné de six perles: la dernière était décorée d'un labyrinthe et lui rappelait sans cesse ce à quoi il avait survécu, et pas Niahm.
Des bruits de pas. Une silhouette. Il ne la regarde pas, garde les yeux levés vers le ciel - la voix lui arrache une grimace. Nova. Ce n'était pas la personne qu'il aurait souhaité voir. Sa question lui arrache un sourire moqueur. «
Pourquoi la réponse t'intéresse? » qu'il demande, peut-être un peu trop froidement. Il ne la porte pas dans son coeur, après tout - elle a été horrible avec Niahm, il ne l'a pas oublié. Encore plus maintenant qu'elle n'est plus. «
Aux dernières nouvelles, on n'a jamais été amis. » La dernière remarque n'est pas dite agressivement ou brusquement, mais plutôt posément - c'est un fait après tout. Pourquoi l'avait-elle rejoint? Et puis, il ne savait pas s'il voulait vraiment d'elle avec lui, là, maintenant, dans ce lieu qui avait été le dernier abri du corps de Niahm.