Chiron avait convoqué Zadig, Asher et Lyon dans son bureau où se trouvait déjà coach Hedge. Tout le monde avait l’air très sérieux – au grand désespoir de Lyon – et pour cause : Athéna elle-même les envoyait chercher l’un de ses enfants en prise avec un monstre dans les rues de Washington, le tout sous la supervision du satyre. Oh, fallait-il préciser que le gosse était l’enfant d’un homme politique et que les médias étaient dans le coup ? Lyon sentait les problèmes arriver.

Ils s’étaient donc rendus à Washington à dos de pégase. Pas vraiment le moyen de transport le plus confortable, mais définitivement plus rapide qu’un taxi. Chiron leur avait dit de chercher un hibou : un vrai, un empaillé, un dessin, une statue… Un nuage tant qu’on y était ! Celui-ci les guiderait alors vers l’enfant, mais encore fallait-il le trouver. Partout où Lyon regardait il ne voyait que les bâtiments gris de la ville et des touristes asiatiques fascinés par la moindre chose écrite en anglais – mais aucun signe d’une chouette nulle part. En même temps c’était quoi son problème à Athéna ? Elle pouvait pas leur dire directement où se trouvait son gosse au lieu de leur faire chercher bêtement une chouette ? Non, il avait fallu qu’elle se la joue intellectuelle. Et ils se retrouvaient comme des idiots à regarder partout autour d’eux à la recherche de ce fichu piaf. Si l’enfant se faisait croquer par le monstre pendant qu’ils cherchaient partout, c’était pas eux qu’il faudra blâmer. Ce plan puait.

« Je comprends vraiment pas pourquoi c’est à nous de chercher le hibou. Il peut pas venir devant nous et nous aider à trouver le gosse genre, avant que les médias s’emparent de l’affaire ? » Grommelle-t-il, la main en visière, scrutant le ciel à la recherche de l’animal. Il voit bien quelques figures planer, mais ce sont juste de stupides pigeons. À croire que la ville en est infestée.

« Coach Hedge ? Puisque vous êtes un satyre, lié à la nature et tout le blabla, vous pouvez pas genre taper la discut avec les oiseaux du coin pour leur demander s’ils ont pas croisé une chouette récemment ? » Demande-t-il en se tournant vers le satyre, les deux mains posées sur ses hanches, les sourcils froncés derrière ses lunettes de soleil de frimeur. Bien sûr que la chouette pouvait prendre une forme autre que vivante, mais il voyait mal une chouette dessinée sur un tag les aidait à retrouver un gosse. Il imaginait plus quelque chose à la Narnia, en remplaçant Aslan par un vulgaire piaf. Il jeta un coup d’œil aux deux autres demi-dieux, Asher et Zadig. Autant il ne connaissait Asher que de vue, autant il préférait ignorer délibérément la présence de Zadig en vue de leur relation devenue tumultueuse. Ou peut-être que la vue d’un monstre réveillerait son ancien meilleur ami, qui sait ?

Mais bien entendu, Zadig ne peut pas garder ses réflexions pour lui, il faut absolument qu’il les partage au monde entier. Lyon est bien tenté de lui répondre que, flash news, tout le monde se fout de son avis, mais c’est sans compter coach Hedge et son sifflet de l’enfer. Se comporter comme des adultes ? Lyon croise les bras et lève les yeux au ciel derrière le verre teinté de ses lunettes. Seuls les dieux savaient ce qu’il se prendrait dans la tronche si ces lunettes ne le cachaient pas…

Soudain une petite horde de journalistes les entoure et commence à poser tout un tas de questions. Caméras oblige, le fils d’Eros enlève sa paire de lunettes et esquisse son plus beau sourire avant de comprendre qu’il n’est pas le centre de l’attention. Bien entendu, même disparu, ce gosse d’Athéna parvient à lui voler la vedette. « C’est vraiment horrible. Un drame. J’espère que les autorités vont vite le retrouver cet enfant – il doit être terrifié. Maintenant si vous voulez bien nous laisser, on a autre chose à foutre… » Il commence à donner quelques coups d’épaules (dont un spécialement à Zadig) histoire de se dégager des journalistes quand un éclair argenté attire son attention. La journaliste qui leur a posé les questions a une broche accrochée à sa chemise et devinez en forme de quoi ? Bim. Un hibou. « Deux secondes. Je peux vous emprunter ça ? » Sans attendre la réponse, il saisit le bijou et le montre aux deux autres, le tournant et retournant entre ses doigts comme pour trouver un mécanisme magique qui l’activerait – après tout, c’est bien le genre d’Athéna de leur compliquer la tâche comme ça.

« Je t’invoque, hibou d’Athéna magique. Aide-nous à retrouver le gosse, et plus vite que ça. Grouille ! » Répète-t-il à voix basse en secouant la broche, mais rien ne change. Au bout de quelques minutes, il se rend à l’évidence. C’est juste un bijou lambda. Reportant son attention sur la journaliste, il lui tend le hibou argenté alors qu’elle le fixe d’un air mi-fasciné mi-effrayé, la caméra toujours fixée sur eux. « Attendez. Vous avez filmé tout ça ? » Pas besoin d’entendre la réponse. Quel con.

Un goût amer envahit sa bouche. Non seulement il s’était raté, mais en face de tout un tas de caméras qui ne tarderont pas à le surnommer "le taré aux chouettes de Washington". Alors qu’il réfléchit à une façon digne de faire ses adieux et au prix du billet d’avion pour aller s’isoler dans une île déserte au milieu du Pacifique, la voix de Zadig saisit son attention. Est-ce… Est-ce qu’il serait en train d’essayer de l’aider ? Lyon se demande un instant si, après être mort de honte sur place, il n’avait pas rejoint le paradis pour qu’une telle chose se produise. Il se pince et la douleur le ramène à la réalité en même temps qu’il croise le regard de Zadig, presque amical. De plus en plus chelou…

Heureusement, le discours crû de coach Hedge lui rappelle qu’il n’est pas dans un monde de bisounours. « Hé ! » Il s’apprête à protester pour défendre son intégrité, avant de se raviser, serrant les poings en actualisant son surnom : le teubé qui aimait les chouettes. Pas mal, hein ? Ils finissent par s’échapper de la petite troupe de journalistes, toujours sans aucun signe de la chouette, ce qui commence à devenir franchement désespérant. Est-ce qu’Athéna voulait vraiment les aider à retrouver son fils ? Parce que là, vu comment ça s’annonçait, on aurait plutôt dit qu’elle cherchait à leur mettre des bâtons dans les roues. Les mains dans les poches, le sud-africain donne des coups de pieds, cherchant à éloigner les pigeons qui commencent à s’approcher d’eux, curieux.

« Vous étiez obligés de me faire passer pour un débile mental à la télé, coach ? Vous savez que j’ai une carrière quand même ? » Grogne-t-il, toujours à moitié vexé tandis que les pigeons continuent d’atterrir autour d’eux, de plus en plus nombreux et commençant à piailler. N’étant pas d’humeur à dealer avec ces piafs, Lyon fait un mouvement brusque en espérant les faire fuir, mais il se stoppe brusquement dans sa pause comme s’il avait vu en fantôme.

« La chouette… Elle est là… » Murmure-t-il d’une voix presque émue. Celle-ci tourne sa tête vers eux et semble esquisser un sourire moqueur – du moins, autant qu’une chouette peut sourire – avant de s’envoler et de s’élancer dans une ruelle. Comme sur des ressorts, Lyon bondit à sa poursuite, bien décidé à ne pas la quitter des yeux.


1-2-3: parmi les pigeons se cache la chouette
5-6-7: un taxi passe juste devant eux, avec une publicité de chouette qui s'anime sous leurs yeux