Le sang rendait ses cheveux poisseux. Sa respiration est difficile, et ses mains tremblent. Il ne cesse de murmurer “ça va, ça va, tout va bien” comme pour se calmer, comme pour se rassurer lui-même. Maman pleure. Maman va mal, mais lui va encore moins bien, ils le savent tous les deux. Sa tête lui tournait. Sa vision était brouillée, il y avait une tache sombre en plein milieu, là où le sang collait ses paupières. Finalement, il s'écroula, son corps lourd contre le carrelage. Il avait 15 ans, et Maman avait essayé de le tuer.


Il n'avait jamais été des plus populaires à l'école. Il était trop... différent. Trop bizarre, et puis pour certains il était juste trop féminin, pour d'autres il était flippant. Sunhee ne savait pas vraiment ce qu'il était, au final. Alors, il restait dans son coin. Il n'avait pas de très bons résultats, après tout il passait sa vie à dormir et les professeurs n'arrivaient jamais à le réveiller, c'était comme s'il était tombé dans le coma contre le radiateur, celui au fond de la salle de classe. Sunhee n'était pas des plus agréables en cours, aussi. Regards noirs, petits "va-t-en" chuchotés quand on essayait de lui parler, au final on osait même plus lui adresser la parole. Et puis, il y avait eu le lycée. Sa popularité était remontée en flèche sans trop qu'il ne comprenne pourquoi. Peut-être juste parce que certains -des gens au moins aussi bizarres que lui, non ?- le trouvaient cool, et que de fil en aiguille... Sunhee était cet élève qui voulait absolument renverser le système, qui trouvait toutes les occasions pour démarrer une révolution dans les couloirs du lycée. C'était un battant, un rebelle, il n'hésitait pas à envoyer les adultes au diable dès qu'ils se mettaient dans son chemin et finalement il devenait juste terrifiant. Enfin, quand il ne s'endormait pas au milieu du couloir, étalé par terre.

Mais, il ne pouvait pas rester à l'internat éternellement. Il y avait les week-ends, les vacances. Là, il rentrait à la maison, posait sa couronne de prince de la destruction qu'il avait acquis parmi les heures de retenue et les hurlements outrés des professeurs. Et là, il retrouvait le regard de sa mère, ce regard qui le hantait, qui le terrifiait même. Maman était malade, c'est ce qu'il supposait. Maman n'allait plus bien depuis qu'il était né, depuis que Papa était parti, c'est ce qu'il s'imaginait. Il ne connaissait pas son père. Seulement, de vagues souvenirs. Très flous, des éclats de voix perdus au fin fond de sa mémoire. Il se fichait de son père, il détestait sa mère. Elle lui transmettait sa rancœur, sa haine. Comme si elle coulait directement dans les veines de Sunhee, comme s'il était nourri de colère, de destruction. Ils se disputaient souvent, beaucoup trop souvent même. Sunhee attendait Papa, il l'attendait vraiment. Il n'osait juste pas se l'avouer. Il n'avait pas besoin de lui pour s'occuper de Maman, pas vrai ?

Énième dispute, les cris retentissent dans l'appartement. Ça dégénère, encore plus que d'habitude cependant. Sunhee n'a pas peur, il n'a jamais eu peur de sa mère, mais quand les doigts de Maman se referment soudainement sur sa chevelure, son coeur rate un battement. Juste avant qu'elle fasse taper son crâne contre un meuble. Il ne savait pas ce qui l'avait fait réagir comme ça, ce qui l'avait fait faire un tel geste. Il ne se l'explique toujours pas. Enfin. Sunhee refuse surtout de se l'expliquer. Il préfère juste ne pas y penser. Oublier les yeux fous de sa génitrice, oublier tout.

Elle l'avait emmené à la colonie peu de temps après, quand il était sorti de l'hôpital en réalité. Il s'était remis vite, bien plus vite que la moyenne. Et c'est là qu'elle lui avait avoué. Qu'elle avait tout dit, parce qu'elle se devait de tout lui dire. Elle regrettait terriblement. Elle regrettait tout. Sunhee, lui, était parti sans un mot, sans se retourner. Peut-être qu'il ne ressentait plus rien pour cette femme, au final. Pas même le lien qui lie une mère et son fils.


Tout le terrorisait. Lumières vives, taches de sang, éclats de voix. Il dormait de plus en plus -alors que clairement il n'avait pas besoin d'heures de sommeil supplémentaires- et se faisait chasser par des cauchemars, hanter par des silhouettes familières. Sunhee était changé, brisé par la guerre. Il supposait que tout le monde portait le même fardeau et que tout le monde essayait de se réparer à sa façon. Lui n'essayait pas vraiment. Il subissait. Il se laissait vivre, parce qu'il ne savait pas faire grand chose d'autre finalement. Son comportement avait beaucoup changé. C'était fini, le rebelle bruyant et avide de destruction avait été tué à la guerre. N'en restait qu'un garçon silencieux, sensible, même un peu trop d'ailleurs. Sunhee avait cet air, ce regard constamment triste. Mélancolique, presque. Le regard de celui qui essayait tant bien que mal de se reconstruire un coeur, de le solidifier. En vain, peut-être.