26 mars 2017 - Elle était rentrée très tôt dans la matinée - enfin, par très tôt, entendions plutôt vers six ou sept heures du matin (elle n’avait guère fait attention ; elle avait pris ses clics et ses clacs et était partie). C’était probablement la seconde fois dans sa vie qu’elle empruntait la porte de Janus reliant San Francisco à New-York (la première fois ayant été avec Gleeson Hedge, le seul, l’unique... bref). Il était vrai qu’elle se rendait souvent au camp romain depuis la découverte de ce dernier, mais ça avait été par les transports en commun (elle n’avait jamais craint l’avion, après tout, ni même passé des heures sur la route s’il le fallait, quitte à traverser tout le continent). C’était pour des raisons professionnelles, disons - elle aimait bien aider, alors des fois, elle se proposait pour la thérapie de la légion (son pouvoir de télépathe devait aider).
Elle était donc revenue à la Colonie des Sang-mêlé ce matin, était repartie dormir un moment, et ne s’était réveillée qu’il y a peu, histoire de faire deux-trois corvées et finalement retourner dans le bungalow pour profiter du calme, musique presque à fond dans ses oreilles. C’était comme ça quand elle voulait un peu se couper du monde, ne plus entendre les autres : elle s’allongeait dans son lit, le casque sur la tête, fermait les yeux, et laissait passer le temps jusqu’à ce qu’elle se dise qu’elle pouvait reprendre le cours de sa vie. D’habitude, on la laissait faire, sauf si vraiment elle s’éloignait pendant trop de temps... Là, on vint la déranger pour tout à fait autre chose.
Une de ses plus jeunes sœurs dut lui tirer la manche plusieurs fois avant de la faire réagir, et elle enleva donc le casque d’un coup. «
Oui ? » Sa sœur avait une drôle de moue, et lui expliqua qu’un blond en furie l’attendait devant la porte, et lui demanda d’ailleurs si elle voulait qu’ils appellent leurs potes plus costauds (peut-être des gamins d’Athéna ou même d’Arès, voire carrément Héphaïstos s’il le fallait) pour l’éloigner de leur bungalow ou pas. Kenna hocha négativement la tête, posa son téléphone à côté d’elle et se dirigea vers l’entrée pour savoir qui donc voulait la voir, et qui était ce fameux blond en furie. De toute façon, elle était encore à quelques mètres qu’elle pouvait déjà savoir : les pensées du jeune homme était une tempête. Elle allait morfler.
Elle n’y avait pas tellement songé en partant ce matin. Pour tout dire, elle était à mille lieux de s’imaginer cette... violence, ou cette réaction tout du moins.
Elle ne vit pas les coups arriver, sentit juste la douleur et très franchement, il ne lui fallait pas tant pour se retrouver à genoux et en avoir les larmes aux yeux. Mais ce n’était pas ça le pire. Elle ne s’était jamais fait frapper. Peut-être une simple claque, une fois dans sa vie. Mais jamais comme ça. Même sur les champs de bataille, même lors des deux guerres, elle y avait échappé (ce n’était pas une guerrière alors elle finissait souvent à rapatrier les blessés ou, mieux, à s’occuper de ceux-ci). Même aux entraînements, bon sang, qui avaient de toute façon un contexte bien différent.
Sebastian O’Brian était en colère. Non, pas juste en colère, il était furieux.
Elle était au sol, à se faire cracher dessus comme une malpropre, peut-être qu’elle saignait, peut-être pas, peut-être qu’elle avait mal, peut-être qu’elle en avait les larmes à couler sur les joues.
L’adrénaline lui permit de regarder derrière elle et de lancer à ses frères et sœurs, avec toute la conviction qu’elle put rassembler, «
C’est bon. » On était soudés, chez la déesse de l’amour, alors dès que Sebastian avait hurlé, tout le monde avait déboulé ou pour voir ce qui se passait ou pour protester (à leur manière, on n’était pas trop des guerriers non plus).
Non, ce n’était pas « bon ». Kenna tourna enfin la tête vers Sebastian, et vit d’abord le bout de la lame à quelques centimètres de son visage. À genoux, devant O’Brian, menacée d’une arme, les larmes aux yeux. Quelle scène pathétique. Les scénaristes se la seraient arrachée. Elle tenta de calmer les tremblements de ses mains - pas de la peur, mais toujours le choc de s’être fait frapper. De réels coups de poings. Sa fratrie n’avait pas bougé, alors elle répéta. «
C’est pas grave... Vraiment. » Certains préférèrent s’éloigner, mais d’autres reculèrent simplement, se plantant à quelques mètres de la scène, fixant le romain d’un œil sombre, les bras croisés ou prêts à répliquer s’il se passait encore quelque chose.
Kenna tendit la main devant elle, comme si ça allait la protéger de la lame du glaive, et entreprit de se relever. Elle chancela un peu, avant de redresser le menton, les lèvres pincées, essayant de rassembler le peu de dignité qui lui restait (et ses esprits aussi). «
Sebastian... », elle commença, la voix douce. La plus douce possible. Le blond était énervé, ses pensées étaient un brouhaha insupportable qui l’insultaient de tous les noms, et elle ne voulait pas l’énerver davantage. «
Je veux t’aider. » Il avait tort en pensant que... Il avait légèrement tort. Pas entièrement mais légèrement. Elle voulait l’aider, oui, mais elle avait aussi voulu coucher avec lui (ce qui était arrivé). Elle n’avait pas compté dans l’équation que ça ne pourrait pas marcher, qu’O’Brian... se sentirait trahi ? Était-ce ça le sentiment qu’il ressentait ? Elle ravala ses larmes autant qu’elle le pouvait - mais ses yeux pleuraient clairement tout seuls. «
J’imagine que... tu veux en parler ? » C’était peut-être le mieux à faire... même si les coups de poings avaient été une réaction assez explicative de l’état d’esprit du garçon... Mais, pour le moment, elle était trop choquée pour réagir là-dessus, et voulait surtout qu’O’Brian se calme assez rapidement.