Cela fait à peine cinq mois que je suis ici et j'envisage déjà de me pendre. Bon, je vous le concède, pour ma propre sécurité - ou plutôt peut-être celle des autres ? - il est préférable que je sois ici, dans ce que l’on appelle la colonie des sang-mêlés - qui est plutôt une colonie des survivant qu’autre chose- mais c'est tout de même mieux qu’avec Owen, mon géniteur, à l’époque ou quoi que ce soit d’autre… Quoi que.... Attendez un peu que je vous raconte mon histoire.
J'ai vu le jour à Seattle, dans l’état de Washington. La seule famille que j'avais pour lors - et qui d'ailleurs est toujours la seule - était mon paternel. La vie avec lui était assez rocambolesque. Nous ne sommes pas restés très longtemps aux USA. À vrai dire, j'ai vécu un peu partout dans le monde, suivant Owen à la trace. Il était de ceux, que l'on appelait pour
« effectuer un travail » comme il le disait si bien. À cette époque je ne comprenais pas bien en quoi cela pouvait bien consister. Il était un peu fou. Un peu paranoïaque sur les bords, mais aussi bizarre que cela puisse paraitre je le considérai comme un véritable héros. J'avais quatre ans. On était au Japon. Un petit nippon l'avait gracieusement remercié avec un sourire des plus larges qui soit - et une sacoche remplie de billet. Le second du petit nippon était venu me voir pour me signifier que mon père était un homme formidable aussi courage que fort. Et depuis ce jour j'ai vu en lui quelqu'un qu'il n'était pas du tout.
Il avait eu une formation militaire. Il était d'ailleurs, selon ses propres dire, une
« véritable machine de guerre et un soldat hors pair ». Il m'avait appris bons nombres de trucs durant nos nombreux voyages et plus je grandissais, plus je devenais un soldat à mon tour. Rien n'était laissé au hasard. Jamais. J'avais sept ans, lorsque j'ai pris ma première arme à feu dans la main. C'était sans doute inscrit dans mes gènes - ou alors était-ce la chance du débutant - mais la canette placée à une cinquantaine de mètres, ne fit pas très long feu sur son rondin de bois. Il m'avait alors demandé ce que j'avais pu ressentir lorsque le coup de feu était parti et que j'avais répondu
« une simple excitation », il m'avait alors annoncé que cette sensation était multipliée par cent lorsque la cible était un homme - en sens large du terme. Et c'est à ce moment-là qu'il m'expliquait son travail « d'exécuteur de nuisible » - où plutôt de « Tu me payes plus cher, donc toi tu restes en vie et ton ennemi demain est mort ! » - et surtout son histoire avec l'armée. Il avait été réformé, parce qu'il était
« apparemment trop dangereux et incontrôlable sur le terrain ennemi » répétait-il sans cesse. Foutaise, selon lui. En réalité mon père était un psychopathe doublé d'un sociopathe. Rien de bien inquiétant.
J'avais dix ans. On était au Canada pas très loin des berges du lac Huron,
« terre des psychopathes bouffeur de glaçons et de caribou » m'avait dit mon géniteur. Il était là pour exécuter l'un des dirigeants de la province locale, pour le solde de la mafia canadienne. Une querelle qui datait pourtant depuis une cinquantaine d’année, mais qui n'avait apparemment toujours pas trouvé d'issue convenable pour l'un ou l'autre des deux camps. Il m'avait, pour une fois, utilisé comme simple premier pion. J'étais une sorte de guet, qui devait faire une sorte de bruit bizarre si un homme à l'aspect tout aussi bizarre s'approchait de l'endroit où Owen effectuait son boulot. Tout s'était passé sans encombre et je n'avais pas eu besoin de faire quoi que ce soit de ridicule pour le prévenir. On était rentré rapidement, mais discrètement, à l'hôtel dans lequel on logeait. Mais seulement une dizaine de minutes après, que nous soyons rentrés, cinq hommes à l'allure d'armoire à glace avait pénétré dans la chambre en fracassant la porte avec la simple force de leur coup de pied. Ils étaient tous armés jusqu'aux dents et nous avaient tout simplement pris de court. Très vite, un homme s'occupait de moi dans un coin pour laisser ses quatre collègues régler son problème, à mon père. Il hurlait dans une langue qui m’était inconnue et c'était de la folie. J'avais beau me débattre, rien n'y faisait, l'homme était vraiment trop fort pour moi. Je voyais mon paternel se faire démolir la face - et le mot est faible - par les hommes de mains qui venaient de pénétrer. L'homme qui me tenait fermement par l'un de mes deux bras, tenait dans son autre main une arme blanche. Au début, il l'avait déposé délicatement contre ma jugulaire, mais il était tellement absorbé et enthousiasmé par le spectacle qu'il voyait, que la lame c'est dangereusement déplacé vers mon œil droit. J'ai alors fermé les yeux remplis de rage et de crainte. Deux secondes plus tard, je me sentais beaucoup plus grand, beaucoup plus fort. Sans crainte, ni peur. J'avais simplement envie de les mettre en pièce. L'homme qui avait la charge de me tenir prisonnier, restait me regarder maintenant avec un air de terreur. Il me regardait d'en bas, comme si je le dépassais d'au moins cinq têtes. Aucun son ne sortait de sa maudite bouche. Sans prendre le temps de réfléchir davantage, je lui envoyai mon poing droit dans la figure. Il se retrouvait par terre, inconscient, la gueule en sang. Je ne m’explique pas la force. Encore aujourd’hui c’est quelque chose qui reste un mystère pour moi. Sans doute une histoire d’adrénaline. Et puis l’entraînement d’Owen devait servir à cela aussi. Je savais où frapper pour faire mal. Sans aucune pitié pour lui, je me retournais vers les bourreaux de mon père, qui avaient arrêté de le frapper. Ils avaient tous, ainsi qu’Owen, les yeux tournés vers moi, pleins d'horreurs et de surprise. J'avais envie de parler de leur dire de dégager où sinon il allait leur arriver la même chose qu'à leur copain, mais un simplement hurlement s'échappait de ma bouche. Ni une, ni deux les colosses prirent leurs jambes à leur cou en oubliant au passage le dernier de la bande. Une trentaine de seconde après, je m'évanouissais. Je n'avais plus aucune force.
Je me suis réveillé seulement quatre jours après, avec une douleur pulsatile et insupportable dans le dos et une impression de fatigue extrême. Dans un hôtel toujours aussi miteux, mais à deux cents kilomètres de l'endroit où nous avions subi l'agression, de retour aux USA. Mon géniteur paraissait, pour la première fois de sa vie, inquiet. Je ne me souvenais de rien et il ne perdit pas de temps à m'expliquer toute l'histoire, mais véritablement toute l'histoire. Je venais de me transformer en une sorte d’ange – noter que mon père avait cette capacité à travers la brume. J’étais toujours un jeune garçon, mais des ailes d’un blanc immaculé étaient sorties de mon dos et j'étais un demi-dieu. Il ne m'avait jamais parlé de ma génitrice auparavant. C'était un peu, une sorte de sujet tabou et je l'avais très bien compris. Jamais au grand jamais il ne m'avait parlé d'elle. Même pas pour me mentir à son compte en me disant qu'elle était morte où qu'elle avait été contrainte de m'abandonner.
Suite à cela j'étais devenu le coéquipier de mon père. Son
« protecteur en cas de coup dur » m’avait-il dit, mais j’étais surtout son « homme à faire diversion ». En effet, vous n'imaginez même pas ce qu'un ange, ou un gamin qui vole peut provoquer comme pagaille dans un centre-ville. Et puis lorsque la rumeur courait qu’un ange veillait sur Owen, à défaut de l’inquiéter, mon fêlé de paternel jouait avec cette « rumeur ». Et cela avait duré très longtemps. Trop longtemps pour moi. J'avais tous fraichement douze ans. J'étais devenue maintenant un parfait petit soldat - aux dires de mon paternel - et j'avais même tué quelques
« hommes coriaces ». On était une fine équipe et je me voyais finir mes jours comme cela. Après tout, s’est
« plutôt bien payé » et puis à force de trainer avec un sociopathe, on apprend très rapidement à ne pas avoir pitié de ses victimes. Et puis dans le fond, c'était eux ou moi. Ce jour-là, on était arrivé à Houston. Un dealer d'envergure international faisait de l'ombre à son principal concurrent. J'étais comme à mon habitude, à mon poste, tandis que mon père « partait au front ». Seulement ce jour-là, rien ne se passa normalement. Des coups de feu se firent entendre et la carcasse de mon père fut jetée à l'extérieur du bâtiment dans lequel il venait de pénétrer une vingtaine de minutes plus tôt. Il m’avait appris à ne pas me faire repérer quoi qu’il advienne pour lui. J’étais resté stoïque. Je ne pouvais plus bouger. Jamais on n’avait envisagé un truc pareil. Je suis resté là, une ou deux minutes, alors que la population locale commençait à s’agglutiner autour du cadavre. Une jolie fille, aux yeux vert émeraude me siffla pour attirer mon attention.
« Viens, suis-moi. Ne reste pas ici. Tu vas te faire prendre ! ». Elle paraissait calme et moi j’étais trop sonné et désorienté pour réfléchir à quoi que ce soit. Elle m’emmenait dans une sorte de clairière tranquille et m’expliqua ce qu’elle faisait ici. Elle m’observait de loin depuis longtemps. Elle connaissait ma véritable identité. Elle était une nymphe et avait eu pour mission de me protéger et de me ramener au camp lorsque cela serait nécessaire. Le temps était venu.
À mon arrivée au camp, je comprenais rapidement que de nombreuses choses que j'avais considéré comme normale était en réalité complètement inacceptable. Dès que j'avais appris à marcher, j'en avais fait voir de toutes les couleurs à Owen. Je ne tenais pas en place. Une connerie à la seconde. Rien ne devait dépasser – et encore – que c'était déjà par terre avec mon passage. Pour essayer d'endiguer la tornade que j'étais, la ceinture de mon paternel a de nombreuses fois épousé mon dos. À l'âge de quatre ans, plus aucune parcelle de mon derme n'avait été épargnée. Mais ce n'était rien comparé à ce que j'ai pu prendre lorsque j'ai appris à lire. On n'avait pas
« connu plus débile chez un Lyndon » que moi apparemment. Heureusement que toute la famille Lyndon encore vivante n'était pas aux USA et que l'on n'avait aucun lien avec eux, sinon…
Mon intégration s'est plutôt bien faite. Je réapprenais à vivre avec quelques séquelles. Un premier syndrome de stress post-traumatique à évacuer. Sans doute le fruit des années de violence de mon géniteur, de ce que j'avais pu voir. À croire que de voir son cadavre dans la rue, n'avait pas été à ce point traumatisant. Je ne saurai pas dire. Bref… Tout se passait bien. J'apprenais à me battre, à contrôler mes pouvoirs, à vivre, à avoir des amis. J'avais une vie presque normale jusqu’à…
À la fin de la guerre contre Gaïa, je n'en pouvais plus. C'était comme si un nouveau rocher m'était tombé sur la poitrine. C'était comme si je revivais mes premières craintes lors de mon arrivée au camp, mais en pire. Je ne pouvais plus dormir, je ne pouvais plus manger. Je revoyais en permanence ceux qui étaient tombés. Je revoyais en permanence cette cruauté. J'entendais toujours, cette voix, insidieuse, profonde, qui venait de si loin, mais qui pourtant était sous nos pieds. Il fallait que je vois autre chose. Il fallait que je prenne l'air. Il fallait que je quitte la colonie pendant quelques temps. Je ne pouvais plus. Et même si je ne savais pas quel monde j'allais trouver à l'extérieur, c'était devenu vital.
Depuis que je suis ici – mon trou à rat comme j'aime l'appeler – je me sens comme enfermé dans une sorte d'hôpital psychiatrique pour dégénéré. Mais je dois dire que je ne suis pas bien mieux. Je survie. J'essaye de manger trois repas par jour. J'essaye de mettre un pied devant l'autre. J'essaye… J'essaye tout simplement. Le garçon édulcoré, aussi pétillant qu'un arc-en-ciel est devenu bien terne.